« L’écriture du fragment dans la fiction britannique et américaine contemporaine »
22-23 septembre 2017, Université de Wroclaw (Pologne)
Le but de ce colloque international, organisé par un professeur de l’ENS de Lyon (Vanessa Guignery) membre du laboratoire IHRIM (UMR 5317), et Wojciech Drag de l’Université de Wroclaw en Pologne, est de s’intéresser à l’écriture du fragment dans la fiction britannique et américaine contemporaine. Dans La pensée fragmentée (1985), Raph Heyndels avance que la fragmentation caractérise la modernité : « La pensée se diffracte à l’image du réel qui s’émiette », note Hervé Pasqua. Comment représenter la fissure, la fêlure, la brisure du réel en littérature si ce n’est par une forme elle-même fragmentée ? C’est le constat auquel parvient l’écrivain américain Donald Barthelme en 1968 : « Le fragment est la seule forme qui m’inspire confiance ». Bien qu’elle ait des origines plus anciennes, la fragmentation constitue l’une des formes majeures de la littérature des XXème et XXIème siècles, en partie parce que, comme l’écrit Richard Ripoll dans L’écriture fragmentaire : théories et pratiques (2002), « l’écriture fragmentaire est un contre-pouvoir à la littérature officielle ». Plusieurs œuvres canoniques du modernisme (comme Ulysses de James Joyce ou Les Vagues de Virginia Woolf) sont emblématiques de cette écriture en éclats (dé)composée de morceaux qui rechignent à constituer un tout. Comme le suggère Gabriel Josipovici dans Whatever Happened to Modernism (2010), la forme fragmentaire des ouvrages modernistes peut être considérée comme la réponse au besoin d’échapper à une linéarité et une causalité contraignantes, emblématiques de l’épistémè victorienne dont il s’agit de s’écarter. Des exemples plus radicaux d’écritures fragmentaires se développent en Grande-Bretagne et aux États-Unis dans les années 1960 et 1970 avec des auteurs souvent associés à l’esthétique postmoderniste et au refus de la raison totalisante tels que J.G. Ballard, John Barth, Donald Barthelme, Robert Coover, B.S. Johnson et Gabriel Josipovici. Depuis les années 1980, de nouvelles modalités de l’écriture du fragment émergent chez des écrivains britanniques et américains qui déstructurent le texte sur un plan structurel, narratif, générique, esthétique, syntaxique et/ou stylistique. On les voit juxtaposer des milliers d’anecdotes et citations (The Last Novel de David Markson), faire se succéder 150 voix (The Absent Therapist de Will Eaves), proposer des centaines de paragraphes déconnectés (Dept. Of Speculation de Jenny Offill), ou encore mélanger 150 images sans respect de la chronologie (Here de Richard McGuire). Au-delà de ces exemples d’écriture que l’on pourrait dire expérimentale, des écrivains moins radicaux formellement ont intégré la fragmentation au cœur même de la structure narrative et temporelle de leurs ouvrages, faisant du fragment un élément qui n’appartient plus à la marge mais au centre (Cloud Atlas de David Mitchell, NW de Zadie Smith, The Green Road d’Anne Enright ou encore The Noise of Timede Julian Barnes).
Le propos de ce colloque est de comprendre les raisons de l’intérêt renouvelé pour l’écriture du fragment dans la littérature anglophone des cinquante dernières années en en analysant les modalités (fragmentation concrète de la page, déstructuration de l’objet-livre, éclatement des genres et des voix, effets de collage etc…) et la façon dont les œuvres contemporaines empruntent aux expérimentations modernistes et postmodernistes pour créer leur propre esthétique qui s’en inspire ou s’en éloigne. Il s’agira également d’étudier les liens éventuels entre la fragmentation dans la littérature des cinq dernières décennies, dont on peut dire qu’elle relève d’une poétique de la précarité et de la vulnérabilité, et la réalité sociale, politique et technologique du monde contemporain.